Vivaldi , en y regardant d'un peu plus près, on commence à ressentir un sérieux sentiment de malaise et même à éprouver de sérieuses inquiétudes devant le profil des ministres qui sont chargés de tenir les cordons de la bourse de l'État et de Vivaldi.
Alexander De Croo l'a clamé haut et fort aux enseignantes, aux infirmiers, aux caissières, aux ouvriers, aux indépendants et aux chômeurs : on ne sortira de la crise qu'avec de la confiance ! Comment d'ailleurs avoir autre chose qu'une confiance absolue dans ce premier gouvernement paritaire de l'histoire de la Belgique qui a de surcroît rajeuni les cadres et compte en son sein plusieurs hommes et femmes "de gauche". Qu'est-ce qu'elle est jolie la photo de famille de la Vivaldi, passée en boucle dans nos grands médias, avec toutes ses couleurs, ses ministres et secrétaires d'État entourant le Roi. Non, vraiment, même de loin le cliché est quasi parfait. Pourtant, en y regardant d'un peu plus près, on commence à ressentir un léger sentiment de malaise et même à éprouver quelques inquiétudes. On ne peut tout de même pas fonder notre avis sur de simples impressions.
C'est d'autant plus important que le nouveau gouvernement affirme vouloir renouer les liens entre politiques et citoyens, tous unis pour "une Belgique prospère, solidaire et durable". Intéressons-nous donc à ceux qui sont chargés de tirer les cordons de la bourse de l'Etat et de relancer l'économie belge.
Premier ministre aussi en charge du Budget, Alexander De Croo (Open Vld) a été avant d'être en politique dans les affaires. Lorsqu'il fonde sa boîte de conseil en propriété intellectuelle (Darts-ip), au milieu des années 2000, c'est en compagnie notamment du Baron Evrard van Zuylen et d'Arnaud van Wyck. Le premier est administrateur de la multinationale belge SCR-Sibelco, propriété de la 6e plus riche famille belge (Emsens - 3,3 milliards, selon le site derijkstebelgen). Le second, passé par Lehman Brothers, a lui épousé la fille du Chevalier de Selliers, un gros actionnaire de Solvay et d'AB InBev. Quelques années plus tard, c'est le fils de Jacques van Rijckevorsel - ex-haut dirigeant de Solvay (famille Janssen, 9e fortune - 3,1 milliard) et ex-président du lobby Plastics Europe - qui les rejoindra au sein de Darts-ip.
Notre nouveau Premier ministre est, on le sait, le fils d'Herman De Croo, lequel a été ministre dans les années 1980 mais a aussi été administrateur pendant 37 ans (1981-2018) de Texaf, une holding financière contrôlée par Philippe Croonenberghs (fortune estimée à 88 millions) et le CCM Trust basé aux îles Cayman. Le vice-président de Texaf est le Baron Dominique Moorkens (50 millions), propriétaire d'Alcopa (import Hyundai, Suzuki, Mitsubishi) et administrateur du groupe Carmeuse de la famille Collinet (18e fortune belge - 1,5 milliard). La famille De Croo entretient donc des relations suivies avec quelques-unes des plus grandes fortunes belges, ce qui explique sans doute sa résistance farouche à imposer toute forme d'impôt sur la fortune.
La nouvelle secrétaire d'État au Budget Eva De Bleeker (Open Vld), qui seconde en la matière notre Premier ministre, a été pour sa part manager "Economic Affairs" de la Confédération des industries agro-alimentaires de l'U.E. (FoodDrink Europe), un puissant lobby représentant les intérêts de multinationales actives dans l'agro-alimentaire (AB InBev, Coca, Nestlé, Pepsi, Kellogg's...) et la privatisation des semences (Cargill, DuPont).
Au sein de la Vivaldi, le CD&V n'est pas en reste avec Vincent Van Peteghem, nouveau ministre des Finances qui était - jusqu'à sa nomination - administrateur de la banque d'épargne VDK, actuellement contrôlée par le mouvement ouvrier chrétien, Belfius et la famille multimillionnaire d'Alain Bostoen (252 millions). Précisons, à toutes fins utiles, qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé au sein du CD&V. Tant s'en faut. Thomas Van Rompuy, frère de Peter Van Rompuy (chef de groupe CD&V au Parlement flamand) et fils d'Herman Van Rompuy, par exemple, a été directeur de la com' du lobby bancaire belge (Febelfin). Il est actuellement membre du comité de direction de la banque Degroof Petercam.
Et puis il y a le cas de Thomas Dermine (PS), secrétaire d'État pour la Relance et les Investissements stratégiques. Le bras droit de Paul Magnette sera en charge du plan fédéral d'investissements publics de 4,7 milliards d'euros. Ex-consultant du bureau McKinsey, il avait déjà été choisi par Magnette pour gérer le plan de relance de Charleroi suite à la fermeture de Caterpillar (2.200 travailleurs sur le carreau). Dans ce dossier, les résultats sont plus que décevants, comme l'a récemment bien montré l'émission "Investigations" de la RTBF. Qu'à cela ne tienne. Ce que Dermine n'a pu faire à l'échelle d'une région, il est censé le réaliser à l'échelle du pays. C'est vrai que lui aussi a des liens avec des "capitaines d'industrie" et notamment les héritiers du Baron Albert Frère (4e fortune belge - 6,9 milliards - actionnaire de Total et GDF Suez/Engie jusqu'il y a peu) qui ont récemment coopté Dermine au conseil de leur fondation caritative.
Et puis, Thomas Dermine apparaît dans la liste ultra-select des membres de la Commission Trilatérale, sorte de club international de la banque, de l'industrie et de la politique réunissant, depuis sa création en 1973, les tenants du libéralisme économique et de la mondialisation financière. Il y est au titre de "David Rockefeller Fellow 2019-2022", aux côtés d'Alexia Bertrand, héritière de la famille Bertrand (13e fortune belge - 1,7 milliard d'euros), cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois et ex-cheffe de cabinet de Reynders. A la Trilatérale, Dermine et Bertrand y siègent en compagnie de patrons de multinationales et d'une poignée de belges triés sur le volet comme le Baron Berghmans (10e fortune belge - 2,9 milliards) et Thomas Leysen (50 millions, ex-président de la FEB et de la KBC).
On se souvient que de Marghem (Electrabel) à De Block (UCB, Celgene), en passant par Vandeput (Lockheed Martin) et Bracke (Telenet), la majorité de Charles Michel fut suspectée de plusieurs conflits d'intérêts, lesquels auraient fortement influencé les choix politiques du gouvernement. Pour la Vivaldi, on attendra de juger sur pièce dans les mois et années à venir. Mais quand on voit la liste des multinationales et lobbies (énergie, chimie, agro-alimentaire, banques...) auxquels sont liés, même indirectement, certains membres du nouveau gouvernement, on est en droit d'avoir quelques craintes. Car l'emprise des multinationales, qui a bien souvent influencé la politique belge ces trente dernières années, pourrait faire obstacle à une véritable transition écologique et sociale que certains partis membres de la Vivaldi appellent pourtant de leurs voeux. On sera donc attentif à chaque réforme prochainement adoptée par ce gouvernement en ayant toujours à l'esprit une seule et même question : qui sera le réel bénéficiaire des mesures fiscales et des politiques économiques à venir et, plus encore, des milliards qui seront distribués dans le cadre du plan de relance. Geoffrey Geuens, professeur à l'ULiège, ex-chroniqueur au Matin, auteur de "Tous pouvoirs confondus: état, capital et médias l'ère de la mondialisation " Epo 2003
* "Les travaux de Geoffrey Geuens traitent de la question des relations entre information, pouvoir et société, et ce en évitant tant les limites imparties à une définition purement instrumentaliste des choses que l’écueil d’une vision scolastique de cette problématique. Pour ce faire, la démarche adoptée consiste, dans un premier temps, à déterminer les principaux clichés et lieux communs associés à la société de l’information, la révolution numérique et la nouvelle économie ; et, dans un second temps, à confronter – sur base d’une double approche empirique – ces formes figées à la réalité dont elles prétendent être le reflet1.
À l’analyse des structures financières et dirigeantes des géants européens et américains du multimédia (pree.sse écrite, audiovisuel, cinéma, musique, publicité, Net) et des TIC [archive] (hardware, software, télécoms, électronique, sécurité) vient ainsi s’articuler une étude sociographique de leurs principaux responsables et de leurs interactions sur la scène sociale considérée.
À côté des recherches dans le domaine de la socio-économie des médias et des TIC, Geuens s’est également spécialisé dans l’analyse du discours social et médiatique, ainsi qu’en témoignent plusieurs publications consacrées, tantôt, aux clichés, stéréotypes et lieux communs véhiculés par la presse dans sa relation des mouvements sociaux et des questions socio-économiques ; tantôt, aux relations d’interdépendance croissante entre médias, pouvoirs publics et industrie privée de l’expertise. Dans ce cadre, une attention particulière est portée à la question des think tanks, en tant que foyers de production d’assertions formatées auquel s’alimente, assez largement, le discours journalistique. " (Wikipedia)